mercredi 22 janvier 2014

Madiodio et le lion


Pour comprendre la souffrance des hommes. Conte wolof (Sénégal)

Il y a longtemps, très longtemps, dans le Djéri, une région du nord du Sénégal, vivait un homme que l’on appelait Madiodio. Il était considéré comme le plus illustre de tous les chasseurs du pays. Madiodio était également un excellent guérisseur. Il comprenait le langage des animaux et était capable de s’entretenir avec les esprits de la forêt.
Un soir, il rencontra un lion blessé qui était couché dans un buisson et souffrait atrocement.
Madiodio s’approcha et remarqua une grosse épine enfoncée dans la patte de l’animal. Il l’enleva et, à partir d’écorce de tamarinier, prépara une poudre qu’il disposa sur la plaie. 
Puis il lui donna de l’eau et un peu de viande. Après les soins, Madiodio partit en promettant au lion de revenir le soigner.
Le lendemain, le chasseur constata l’efficacité du remède, car le lion ne souffrait plus. Il pouvait même se déplacer en boitant.
A partir de ce moment-là, une grande amitié naquit entre eux. Il se voyaient tous les jours et partageaient le butin de leur chasse.
Le lion était plus fort, il ramenait plus de proies pendant que le chasseur peinait souvent à trouver du gibier. Madiodio, par fierté, cachait se déception devant le talent du lion. Ce dernier avait remarqué la tristesse qui envahissait le visage du chasseur après chaque repas.

Un jour, le lion lui demanda :
-Cher ami, quelle est la cause de ta tristesse ?
Madiodio lui répondit :
-Tous les hommes sont tristes, je ne suis pas le seul. Les êtres humains vivent avec la souffrance. En revanche, toi, le lion, roi de la savane et de la forêt, tu ne peux pas ressentir ce que nous ressentons.
Le lion demanda :
-Peux-tu me décrire la souffrance à laquelle tu fais allusion ?
-Tu ne peux pas comprendre, répondit le chasseur.
-Alors, je ne saurai jamais ce que tu ressens, mon ami, déclara le lion.

Ce dialogue dura plusieurs mois sans que le lion puisse avoir la moindre explication sur la nature de la souffrance humaine. C’est ainsi que le roi de la forêt et de la savane décida de se rendre chez les êtres humains pour observer leur vie quotidienne.

Après une longue marche, le lion arriva enfin aux abords d’un village. Il vit des enfants qui s’amusaient. Des vieillards, assis sous un grand baobab, discutaient paisiblement. Des femmes riaient et vaquaient à leurs occupations. 
Plus loin, de jeunes musiciens travaillaient leurs instruments. Des jeunes filles chantaient et dansaient au son des percussions. Le lion observa longuement ce spectacle.

Lorsqu’il retrouva son ami chasseur, le lion lui certifia :
-Tes semblables ne connaissent pas la souffrance. Je les ai vus au village, ils n’ont aucun souci. Ils sont plus heureux que nous, les animaux. Je n’ai relevé aucune tristesse sur leur visage. Cher ami, je veux connaître le sens de la souffrance. Il faut que tu m’expliques si tu tiens vraiment à notre amitié.
Madiodio lui répondit :
-Procure-moi du gibier pendant une semaine. Je m’engage à te donner une réponse à tes interrogations.

Motivé par le désir de connaître enfin le secret de la douleur des hommes, le lion accepta la proposition de son compagnon. Il disparut dans la nature à la rechercher de gibier.

Quelques heures plus tard, le lion jeta devant le chasseur des antilopes, des gazelles et des biches.
Émerveillé devant ce butin, Madiodio déclara au lion :
-Ta soif de connaissance sera bientôt satisfaite.

Le jour venu, le chasseur se présenta devant le lion avec une énorme cloche. 
Stupéfait, le lion écarquilla les yeux, secoua sa crinière et grogna :
-C’est cela que tu appelles la souffrance ?

-Oui, répondit le chasseur, et il attacha la cloche au cou du lion.

Le lion de fit aucun commentaire, il trouvait même cela assez amusant.
Comment une simple cloche pouvait-elle symboliser la souffrance humaine?
Il se demandait si le chasseur ne s'était pas moqué de lui.
Madiodio s'en alla en lui conseillant d'attendre et de voir.

Au bout d'une journée, le tintement de la cloche commençait à agacer fortement le lion.

Le soir venu, il voulut se débarrasser de l'objet, mais impossible de l'enlever.
Il sauta à gauche, à droite, secoua la tête plusieurs fois, se roula par terre. En vain. Il se jeta contre un arbre pour briser la cloche...qui resta solidement accrochée à son cou. Il était en sang.

Le lendemain, il voulut se procurer une proie pour son repas mais aucun animal ne se laissa approcher. Le bruit de la cloche les faisait fuir. Ce tintement l'accompagnait dans tous ses déplacements. La douleur l'empêchait de se lancer à la poursuite des antilopes et des gazelles.

Toute la journée, le lion ne dénicha rien à se mettre sous la dent. le roi des animaux ne pouvait pas se contenter de manger les rats et les porcs-épics qui passaient devant lui.

Cette situation devenait insupportable. le lion avait faim, il ne tenait plus debout.
Il pensait à sa mort lorsque son ami le chasseur se présenta.
Le lion, d'une petite voix, supplia son ami de lui ôter cette maudite cloche.
Madiodio libéra le lion. il lui donna à boire et à manger. Puis il soigna ses blessures.

Quand le lion eut retrouvé un peu de force, le chasseur lui demanda :
- Comprends-tu maintenant le sens de la souffrance ?
- C'est cet objet métallique qui en est la cause, cria le lion.
- Non, répondit Madiodio, c'est l'ennui que tu as ressenti. Au début, cette cloche était amusante. Mais, par la suite, tu n'as pas pu t'en débarrasser, pourtant elle te gênait. Tu t'es trouvé dans l'incapacité de subvenir à tes propres besoins. Enfin, tu as pris conscience de ton impuissance et de ta responsabilité face à la situation. Voilà les raisons de la souffrance des êtres humains. Enfin, ils sont conscients du mal qu'ils perpétuent mais ils ne peuvent pas s'empêcher de le commettre. 



Mon conte est fini. je le dépose sous l'arbre à palabres, en attendant qu'une oreille puisse le faire voyager 

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