Pour comprendre la
souffrance des hommes. Conte wolof (Sénégal)
Il y a longtemps, très
longtemps, dans le Djéri, une région du nord du Sénégal, vivait un homme que
l’on appelait Madiodio. Il était considéré comme le plus illustre de tous les
chasseurs du pays. Madiodio était également un excellent guérisseur. Il
comprenait le langage des animaux et était capable de s’entretenir avec les
esprits de la forêt.
Un soir, il rencontra un
lion blessé qui était couché dans un buisson et souffrait atrocement.
Madiodio s’approcha et
remarqua une grosse épine enfoncée dans la patte de l’animal. Il l’enleva et, à
partir d’écorce de tamarinier, prépara une poudre qu’il disposa sur la plaie.
Puis il lui donna de l’eau et un peu de viande. Après les soins, Madiodio
partit en promettant au lion de revenir le soigner.
Le lendemain, le chasseur
constata l’efficacité du remède, car le lion ne souffrait plus. Il pouvait même
se déplacer en boitant.
A partir de ce moment-là,
une grande amitié naquit entre eux. Il se voyaient tous les jours et
partageaient le butin de leur chasse.
Le lion était plus fort,
il ramenait plus de proies pendant que le chasseur peinait souvent à trouver du
gibier. Madiodio, par fierté, cachait se déception devant le talent du lion. Ce
dernier avait remarqué la tristesse qui envahissait le visage du chasseur après
chaque repas.
Un jour, le lion lui
demanda :
-Cher ami, quelle est la
cause de ta tristesse ?
Madiodio lui
répondit :
-Tous les hommes sont
tristes, je ne suis pas le seul. Les êtres humains vivent avec la souffrance.
En revanche, toi, le lion, roi de la savane et de la forêt, tu ne peux pas
ressentir ce que nous ressentons.
Le lion demanda :
-Peux-tu me décrire la
souffrance à laquelle tu fais allusion ?
-Tu ne peux pas
comprendre, répondit le chasseur.
-Alors, je ne saurai
jamais ce que tu ressens, mon ami, déclara le lion.
Ce dialogue dura
plusieurs mois sans que le lion puisse avoir la moindre explication sur la
nature de la souffrance humaine. C’est ainsi que le roi de la forêt et de la
savane décida de se rendre chez les êtres humains pour observer leur vie
quotidienne.
Après une longue marche,
le lion arriva enfin aux abords d’un village. Il vit des enfants qui
s’amusaient. Des vieillards, assis sous un grand baobab, discutaient
paisiblement. Des femmes riaient et vaquaient à leurs occupations.
Plus loin,
de jeunes musiciens travaillaient leurs instruments. Des jeunes filles
chantaient et dansaient au son des percussions. Le lion observa longuement ce
spectacle.
Lorsqu’il retrouva son
ami chasseur, le lion lui certifia :
-Tes semblables ne
connaissent pas la souffrance. Je les ai vus au village, ils n’ont aucun souci.
Ils sont plus heureux que nous, les animaux. Je n’ai relevé aucune tristesse
sur leur visage. Cher ami, je veux connaître le sens de la souffrance. Il faut
que tu m’expliques si tu tiens vraiment à notre amitié.
Madiodio lui
répondit :
-Procure-moi du gibier
pendant une semaine. Je m’engage à te donner une réponse à tes interrogations.
Motivé par le désir de
connaître enfin le secret de la douleur des hommes, le lion accepta la
proposition de son compagnon. Il disparut dans la nature à la rechercher de
gibier.
Quelques heures plus
tard, le lion jeta devant le chasseur des antilopes, des gazelles et des
biches.
Émerveillé devant ce
butin, Madiodio déclara au lion :
-Ta soif de connaissance
sera bientôt satisfaite.
Le jour venu, le chasseur
se présenta devant le lion avec une énorme cloche.
Stupéfait, le lion écarquilla
les yeux, secoua sa crinière et grogna :
-C’est cela que tu
appelles la souffrance ?
-Oui, répondit le
chasseur, et il attacha la cloche au cou du lion.
Le lion de fit aucun commentaire, il trouvait même cela assez amusant.
Comment une simple cloche pouvait-elle symboliser la souffrance humaine?
Il se demandait si le chasseur ne s'était pas moqué de lui.
Madiodio s'en alla en lui conseillant d'attendre et de voir.
Au bout d'une journée, le tintement de la cloche commençait à agacer fortement le lion.
Le soir venu, il voulut se débarrasser de l'objet, mais impossible de l'enlever.
Il sauta à gauche, à droite, secoua la tête plusieurs fois, se roula par terre. En vain. Il se jeta contre un arbre pour briser la cloche...qui resta solidement accrochée à son cou. Il était en sang.
Le lendemain, il voulut se procurer une proie pour son repas mais aucun animal ne se laissa approcher. Le bruit de la cloche les faisait fuir. Ce tintement l'accompagnait dans tous ses déplacements. La douleur l'empêchait de se lancer à la poursuite des antilopes et des gazelles.
Toute la journée, le lion ne dénicha rien à se mettre sous la dent. le roi des animaux ne pouvait pas se contenter de manger les rats et les porcs-épics qui passaient devant lui.
Cette situation devenait insupportable. le lion avait faim, il ne tenait plus debout.
Il pensait à sa mort lorsque son ami le chasseur se présenta.
Le lion, d'une petite voix, supplia son ami de lui ôter cette maudite cloche.
Madiodio libéra le lion. il lui donna à boire et à manger. Puis il soigna ses blessures.
Quand le lion eut retrouvé un peu de force, le chasseur lui demanda :
- Comprends-tu maintenant le sens de la souffrance ?
- C'est cet objet métallique qui en est la cause, cria le lion.
- Non, répondit Madiodio, c'est l'ennui que tu as ressenti. Au début, cette cloche était amusante. Mais, par la suite, tu n'as pas pu t'en débarrasser, pourtant elle te gênait. Tu t'es trouvé dans l'incapacité de subvenir à tes propres besoins. Enfin, tu as pris conscience de ton impuissance et de ta responsabilité face à la situation. Voilà les raisons de la souffrance des êtres humains. Enfin, ils sont conscients du mal qu'ils perpétuent mais ils ne peuvent pas s'empêcher de le commettre.
Mon conte est fini. je le dépose sous l'arbre à palabres, en attendant qu'une oreille puisse le faire voyager